Jeanne d'Arc, l'Histoire française revue et corrigée par Besson

Rétrospective sur la carrière de Luc Besson

RÉTRO LUC BESSON

Romain Jankowski

7/25/20253 min read

Reparler du film JEANNE D'ARC, c'est attirer le feu des historiens, rendre fous les puristes de la vérité et désappointer les porteurs de la voix sacrée. Un film tellement fou qu'il mêle sa propre folie à son propos pourtant déjà hautement enflammé. Vingt-six ans après, il est toujours difficile d'analyser et de comprendre un tel geste kamikaze de la part de Luc Besson.

Histoire réinventée

Après le carton du CINQUIEME ELEMENT, le cinéaste revenait à une ambition historique bien plus sombre avec ce projet qui devait être initialement réalisé par Kathryn Bigelow. Un désaccord concernant l'actrice principale aurait eu raison de la patience d'une cinéaste qui a bien anticipé l'ambition de son collègue (Besson imposait Jovovich dans le rôle qui était également son épouse à l'époque). Le réalisateur de LEON veut faire comme les américains et lui aussi mettre en avant l'Histoire de son pays. Il a bien sûr vu BRAVEHEART et se dit que ce serait une belle idée d'aller sur ce terrain, celui de la bravoure et de l'héroïsme. Il a l'argent, la renommée et désormais un immense ego. Alors Besson s'avance sur le champ de bataille, tel un grand guerrier prêt à en découdre.

L'histoire de Jeanne d'Arc a déjà été maintes fois racontée et Besson le sait. Il n'est pas là pour en faire un véritable biopic régi par les règles de la foi documentée. Il prend des raccourcis affolants, montre ce qu'il a envie de montrer et offre une vision du personnage assez déconcertante. Filmé dans une lumière crue, entre scènes de guerre très graphiques et dialogues introspectifs, le film prend donc ses distances avec l’Histoire officielle pour interroger une question brûlante : et si Jeanne avait été manipulée, ou pire, si elle avait tout imaginé ? La problématique, intéressante au demeurant, s'écroule souvent par un manque de nuance. Et c'est finalement bien normal puisque cette caractéristique n'est pas vraiment la qualité première du cinéma de Besson.

Problématiques

Il est donc facile d'imaginer les fadas d'Histoire française s'évanouir devant une Jeanne d'Arc guerrière. Le cinéaste nous pond une véritable vendetta puisqu'il invente totalement un traumatisme à la jeune Jeanne, à savoir une horrible scène de viol nécrophile par un anglais aux dents douteuses. Un choc volontaire pour une Jeanne alors obsédée par sa volonté de tuer des ennemis. Les raccourcis sont légion (notamment concernant le siège d'Orléans) tandis que le plus problématique reste la portée brute du traitement réservé à Jeanne. La deuxième partie du film penche vers une certaine rationalisation, l'héroïne luttant alors contre sa propre conscience (personnifiée par Dustin Hoffman) après s'être montrée particulièrement enragée durant plus de deux heures de bobine. Entre crises de nerfs, violence verbale et hystérie pure, la Jeanne de Milla Jovovich est souvent usante, loin du portrait pieux et rationnel qui est décrit dans les ouvrages historiques.

On l'aura bien compris, JEANNE D'ARC n'est pas un film qui retrace l'Histoire malgré des propos souvent problématiques. Alors comment le regarder ? Comment oublier les faits pour se concentrer sur son aspect cinématographique ? Indéniablement, Besson sort l'artillerie lourde et offre des scènes de bataille franchement correctes malgré l'abus de plans serrés. Hormis une Jovovich qui peine à savoir sur quel pied danser, le reste du casting s'en sort avec les honneurs (on y voit quand même Faye Dunaway, John Malkovich, Vincent Cassel, Tchéky Karyo). Sur le plan formel, il y a une volonté de grandeur, que ce soit dans le choix des costumes, la reconstitution globale ou la photographie (signée une fois de plus Thierry Arbogast). Autre habitué de Besson, le compositeur Eric Serra qui signe l'une des BO les plus ambitieuses de sa carrière. Plus symphonique qu’à son habitude, Serra mêle chœurs médiévaux, cordes dramatiques et percussions martiales, dans une musique qui amplifie la tension mystique du récit. Il compose ici une bande-son ample et tourmentée, oscillant entre élévation spirituelle et chute intérieure.

La sortie du long-métrage fut houleuse et la réception globale assez décevante, même chez le novice en Histoire. Après quatre films encensés (LE GRAND BLEU, NIKITA, LEON et LE CINQUIEME ELEMENT), Besson convainc moins le public même si plus de trois millions de tickets seront vendus dans l'Hexagone. Après cette période faste, le cinéaste marquera une vraie rupture dans sa carrière avec une interruption de six ans et un retour disons déstabilisant avec l'étrange ANGEL-A...