Vincent, François, Paul... et les autres, Sautet et la France des 70s

DOSSIERS

Romain Jankowski

10/25/20253 min read

Signé Claude Sautet, ce film est devenu un classique du portrait d’amitié et de crise d’un certain âge dans la France des années 70. Inspiré du roman LA GRANDE MARRADE de Claude Néron, il réunit un trio d’amis – Vincent, François et Paul – à un moment charnière de leur vie, où les certitudes vacillent.

L'amitié selon Sautet

Des amis de longue date, Vincent (Yves Montand) , François (Michel Piccoli), Paul (Serge Reggiani) — respectivement chef d'entreprise, médecin et écrivain —, tous la cinquantaine, se retrouvent régulièrement avec d'autres, dont le jeune boxeur Jean (Gérard Depardieu), pour boire, manger, discuter et passer des fins de semaine à la campagne, chez Paul. Ils traversent tous plus ou moins une mauvaise passe sentimentale ou professionnelle. Dans un paysage cinématographique français où l’intime côtoyait de plus en plus l’engagement ou le spectaculaire, VINCENT, FRANÇOIS, PAUL ET LES AUTRES apparaît comme une œuvre de transition : simple dans sa forme, complexe dans son fond. Sautet, jusque-là réputé pour son exigence et son perfectionnisme, avait décidé ici de moins “forcer” sur l’artifice et de privilégier l’authenticité. Lors du tournage, Michel Piccoli confiait d'ailleurs qu’il avait rarement vu Sautet dans un état aussi « détendu ». Le cinéaste lui-même avait changé : « Je sais enfin ce que je suis capable de faire et ce que je peux exiger des personnes avec qui je travaille. Je suis libéré, je respire. »

Ce film marque la troisième collaboration de Sautet avec le scénariste Jean‑Loup Dabadie (après LES CHOSES DE LA VIE et CESAR ET ROSALIE) : un duo qui a su capter les petites choses de la vie et leur donner une profondeur. De plus, le compositeur Philippe Sarde signe la bande-son. Ce dernier aurait d'ailleurs modulé un morceau de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli pour accompagner les rushes de la scène où Montand (Vincent) se remet de la grippe !

Une époque qui vacille

La France de 1974 sort à peine des Trente Glorieuses. L’argent, la réussite et les certitudes masculines se fragilisent. Sautet, fin observateur des non-dits, saisit ce basculement avec une justesse rare. Ses personnages ne sont ni des héros, ni des perdants : ce sont des hommes qui ne comprennent plus le monde qu’ils ont contribué à construire. Vincent, entrepreneur débordé, voit son mariage s’effondrer. François, médecin désabusé, perd foi en son métier. Paul, écrivain en panne, contemple le vide. Tous ont réussi, tous s’ennuient. Et tous se découvrent vulnérables. Un mot de trop autour d’une table, un sourire forcé, un verre qu’on sert machinalement — c’est dans ces moments anodins que le film trouve sa puissance. La fameuse scène du gigot, devenue emblématique, condense ce malaise : un repas banal qui tourne à la joute émotionnelle. Chez Sautet, la bourgeoisie parle beaucoup… mais ne se comprend plus.

Ce film, c’est aussi le témoignage d’un âge d’or du cinéma français, celui où l’on pouvait encore filmer des hommes qui parlent de leurs failles sans artifice ni cynisme. À une époque où tout va vite, le cinéma de Sautet rappelle que la plus grande tragédie, parfois, c’est simplement de vieillir ensemble sans plus se comprendre. VINCENT, FRANÇOIS, PAUL... ET LES AUTRES n’est pas un film sur la fin d’une amitié. C’est un film sur la fin d’un monde. Et c’est sans doute pour cela qu’il reste, cinquante ans plus tard, aussi moderne que bouleversant.

C'est probablement pour toutes ces raisons que le long-métrage reste le deuxième plus grand succès de Sautet : 2,8 millions d'entrées.