L'Etranger, Albert Camus adapté par Luchino Visconti
HISTOIRE DU CINÉMA
Romain Jankowski
10/27/20252 min read


Sous le soleil d’Alger, Marcello Mastroianni marche sans but, sans colère, sans passion. Il enterre sa mère, couche avec une femme, tue un homme. Rien ne le bouleverse. Ce vide, ce silence, Luchino Visconti en a fait un film en 1967 : L'ETRANGER, adaptation du roman mythique d’Albert Camus, et sans doute l’une des plus dérangeantes de son œuvre.
Le drame de l’indifférence
Tout commence dans une lumière aveuglante. Meursault (Mastroianni), modeste employé, regarde le monde sans y participer. Visconti filme cet homme comme un fantôme en plein jour, prisonnier d’un monde qui exige de lui des émotions qu’il ne ressent pas. L’événement déclencheur – un meurtre banal sur une plage brûlante – ne change rien. Ce n’est pas l’acte qui condamne Meursault, mais l’absence d’émotion. On le juge pour ne pas avoir pleuré à l’enterrement de sa mère, pour ne pas s’être conformé. “Il n’a pas pleuré. Voilà son vrai crime.”, c'est ce qui sera dit. Avec sa mise en scène lente, précise, presque suffocante, Visconti enferme le spectateur dans cette même torpeur. Le soleil d’Alger devient une prison. On retrouve la patte du cinéaste italien (le classicisme des cadres, la lourdeur du décor, la chaleur qui écrase). Certains ont pu reproché au film sa froideur, mais cette austérité est voulue. Comment filmer l'absence et cette histoire particulièrement difficile ? Le cinéaste a adapté littéralement le roman, ce qui fait parfois piocher l'ensemble (notamment lors des séquences de procès), mais on ne pourra nier la volonté de Visconti à mettre en avant la plume de Camus. Toutefois, une petite nuance s'impose : la veuve de Camus avait obligé le cinéaste à respecter à la lettre le livre de son défunt époux. Ce qui empêcha toute idée de créativité autour du texte originel...
Mastroianni, l’homme sans affects
Derrière ses lunettes noires et son regard impassible, Marcello Mastroianni trouve un rôle à contre-emploi total. Lui, le séducteur, incarne ici l’homme vide, l’étranger à lui-même. Là aussi, le débat a toujours existé : cet acteur était-il le meilleur choix pour le rôle ? Mastroianni penche parfois dangereusement vers le cabotinage (n'en rajoute-t-il pas un peu trop dans son côté meurtri ?), mais parvient aussi, grâce à son incroyable charisme, à trouver une vérité dans ce personnage. D'ailleurs, le casting fut pointé du doigt lors de la sortie du film, entre une Anna Karina jugée trop frêle, un Bernard Blier étrangement hors sujet ou encore Bruno Cremer, guère marquant dans la peau du prêtre. Il est vrai que tous ne jouent pas la partition de leur vie, mais Georges Géret dans la peau de Sintès est, en revanche, un excellent choix.
Un film existentiel et politique
Le film est tourné dans une Algérie encore française, où la tension coloniale reste palpable. Le meurtre de “l’Arabe”, filmé avec distance, prend alors un autre sens : celui d’un acte absurde dans un monde où la domination et la culpabilité se croisent sans se reconnaître. Camus, l’humaniste, avait écrit un roman sur la condition humaine. Visconti en fait un film sur la condition de l’homme jugé par une société qu’il ne comprend plus. L'ETRANGER version 1967 est encore aujourd'hui un film dérangeant et mal-aimé. Mal-aimé par le réalisateur lui-même et peu défendu par ses initiateurs (dont Mastroianni). Il n'a jamais semblé être réhabilité malgré d'évidentes qualités.
