Le Village, l’oeuvre de tous les débats

DOSSIERS

Romain Jankowski

3/27/20253 min read

Nous sommes à l’été 2004. Alors que les blockbusters s’enchaînent (HARRY POTTER 3, SHREK 2, SPIDER-MAN 2, I,ROBOT…) et que l’été se termine, LE VILLAGE déboule fin août dans les salles et vient clore l’un des box-office estivaux les plus prolifiques de tous les temps. Grâce à une promo admirable et l’aura de son cinéaste, ce nouveau film-mystère convoque massivement le public qui en ressortira assez… déconcerté.

L’intouchable

Pour replacer les choses dans leur contexte, LE VILLAGE fait donc suite à SIXIEME SENS, INCASSABLE et SIGNES qui ont totalisé plus de 13,2 millions d’entrées et plus de 1,3 milliard de dollars de recettes mondiales. Shyamalan est le roi d’Hollywood au début des années 2000 et les studios ne peuvent décemment pas refuser de lui offrir 60 millions de dollars pour un script classé secret défense. Le pitch est démentiel : Une petite communauté isolée vit dans la terrifiante certitude qu’une race de créatures mythiques peuple les bois entourant le village. Cette force maléfique est si menaçante que personne n’ose s’aventurer au-delà des dernières maisons, et encore moins pénétrer dans les bois… Le jeune Lucius Hunt, un garçon entêté, est cependant bien décidé à aller voir ce qui se cache par-delà des limites du village, et son audace menace de changer à jamais l’avenir de tous… Ça sonne série B, mais dans les mains du Golden Boy aux twists d’enfer, ça sonne surtout comme une promesse étourdissante de suspense.

Une véhémence injustifiée ?

Comme pour ses précédentes oeuvres, le casting est royal : Joaquin Phoenix, Bryce Dallas Howard, Adrien Brody, William Hurt, Sigourney Weaver, Brendan Gleeson. Le succès est au rendez-vous : 256 millions amassés et plus de 2,4 millions d’entrées en France. Pourtant, avec LE VILLAGE, quelque chose cloche. L’appréciation générale n’y est pas et c’est plutôt la déception qui pointe le bout de son nez. Une première pour Shyamalan qui doit faire face aux critiques de la presse et du public, ce dernier se sentant un peu floué par le twist final. Le fameux « tout ça pour ça » hante les vives discussions concernant ce film qui restera comme celui qui divise le plus ses fans : chef-d’oeuvre incompris ou première bascule vers une deuxième partie de carrière discutable ? LE VILLAGE se revoit aussi à travers ce prisme. L’après fut difficile pour le cinéaste, entre l’échec de LA JEUNE FILLE DE L’EAU, les critiques envers PHENOMENES et ses entrées plus que discutables dans le Blockbuster avec LE DERNIER MAITRE DE L’AIR et AFTER EARTH. LE VILLAGE, c’est aussi la première fois où il perd certains de ses fidèles qui pointent du doigt son obsession du twist renversant qui se retourne finalement contre lui : l’esbroufe ne plaît pas et le public n’aime pas se sentir floué.

Et pourtant, quel film ! Ces critiques à l’époque furent totalement injustes car éloignées de la vérité. Peut-être les attentes étaient-elles trop élevées, mais Shyamalan réalisé là l’une de ses oeuvres les plus précieuses. Loin des ressorts habituels du genre horrifique, cette fable entend replonger aux racines de la civilisation américaine, en s’intéressant aux liens étroits et ambigus qu’elle entretient avec la violence. Le retournement de situation, lui, n’a rien d’une pirouette et trouve un sens unique à ce film d’une élégance rare qui tranchait radicalement dans le paysage audiovisuel hollywoodien. La complexité du propos est portée par une mise en scène précise et élégante, magnifiée par la photographie de Roger Deakins et la partition renversante de James Newton Howard. Aujourd’hui, on regarde LE VILLAGE comme la fin d’une ère, celle où un cinéaste venu de nulle part a bousculé les codes en l’espace de quatre films, impulsant au passage une nouvelle dynamique. Il ne retrouvera plus jamais ces hauteurs, mais parviendra tout de même à retrouver, lors de quelques fulgurances, ces éclairs de génie qui ont fait toute sa renommée.