Le juge Fayard dit le Shériff, quand Yves Boisset défie le pouvoir

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DOSSIERS

Romain Jankowski

10/23/20253 min read

Sorti en 1977, LE JUGE FAYARD DIT LE SHERIFF d’Yves Boisset reste l’un des films politiques les plus percutants du cinéma français. Derrière les traits nerveux et sincères de Patrick Dewaere, ce long-métrage transforme un simple dossier d’instruction en bombe à fragmentation contre la corruption et les collusions de la République.

Un juge seul contre tous

Jean-Marie Fayard, jeune juge d’instruction muté en province, se voit confier une affaire de braquage a priori banale. Mais très vite, le magistrat découvre un entrelacs d’intérêts mafieux, d’hommes d’affaires puissants et de complicités au sein même de l’État. Refusant de se soumettre aux pressions, Fayard décide d’aller jusqu’au bout, quitte à s’attirer la haine des puissants.
Sous la caméra nerveuse et sans concession d’Yves Boisset, le film prend la forme d’un thriller judiciaire tendu. Il s’inspire directement d’un drame survenu deux ans plus tôt : l’assassinat du juge François Renaud à Lyon, en 1975. Ce magistrat avait, lui aussi, enquêté sur les liens troubles entre grand banditisme et sphère politico-militaire. Boisset et le scénariste Claude Veillot reprennent cette histoire pour en faire une parabole de l’intégrité bafouée.
En résulte un film brûlant, accusateur, qui provoquera à sa sortie de vives réactions au sein même du pouvoir, notamment à cause de la mention du SAC (Service d’Action Civique), organisation proche du pouvoir gaulliste et alors déjà très controversée.

Dewaere, le magnifique

Dans le rôle du juge Fayard, Patrick Dewaere livre une performance magistrale. À la fois impétueux et idéaliste, son personnage tranche avec les figures d’autorité traditionnelles du cinéma français. Pas de flic héroïque ici, mais un juge fragile, téméraire, sincère — un homme debout dans un monde qui s’effondre.
Autour de lui, Aurore Clément, Philippe Léotard et Michel Auclair forment un casting solide, parfaitement dirigé. Boisset filme la tension, les silences, la solitude d’un homme face à la machine judiciaire et politique. Le cinéaste avait d'ailleurs l'habitude d'aborder des sujets qui fâchent : deux ans plus tôt, son film DUPONT LAJOIE avait provoqué un véritable tollé. Il avait également fait parler avec L'ATTENTAT en 1972, qui revenait sur l'enlèvement et l'assassinat de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka.

Un film qui dérange

LE JUGE FAYARD DIT LE SHERIFF ne se contente pas de raconter une histoire : il met en accusation un système.
À sa sortie, certains y voient une attaque frontale contre la République. D’autres saluent un cri d’alarme salutaire sur la fragilité du pouvoir judiciaire et la perméabilité entre justice et politique. Le film remportera d’ailleurs le Prix Louis-Delluc 1976, récompensant son audace et sa force de frappe cinématographique. Sa sortie, en revanche, connaîtra de nombreux tumultes, ce qui aidera fortement le film a performé au box-office : 1,758 millions d'entrées seront enregistrées, ce qui en fera l'un des plus grands succès de Boisset.

L’héritage d’un cinéma de conviction

Près de cinquante ans plus tard, ce long-métrage garde toute sa force. À l’heure où les débats sur l’indépendance de la justice refont surface, le film résonne comme un avertissement. Sa mise en scène âpre, ses dialogues cinglants et sa narration sans concession rappellent qu’un long-métrage peut être un acte politique à part entière. Comme l’a récemment souligné Le Monde, Yves Boisset reste l’un des derniers cinéastes français à avoir osé “filmer le pouvoir de l’intérieur, sans le craindre, sans le flatter”.