Itinéraire d'un enfant gâté, l'odyssée intérieure de Belmondo
HISTOIRE DU CINÉMA
Romain Jankowski
11/5/20253 min read


Il y a des films qui sentent l’aventure, le vent, les horizons lointains. Et puis il y a ITINERAIRE D'UN ENFANT GATE (1988), voyage intérieur déguisé en périple international. Claude Lelouch y offre à Jean-Paul Belmondo un rôle-écrin : celui d’un homme qui a tout gagné — et qui choisit pourtant de disparaître.
L'histoire de Sam Lion
Sam Lion n’est pas n’importe qui. Enfant abandonné, artiste de cirque, titan du nettoyage industriel, père absent et patron admiré : une vie construite pierre après pierre, succès après cicatrice. Mais un jour, ce roi du quotidien orchestré décide de dire stop. Faux accident en mer, vraie renaissance. Plus qu’un geste de rupture, un saut vers l’inconnu. Dans son sillage, Albert, petit employé loyal (superbe Richard Anconina), propulsé malgré lui dans le sillage du grand homme. Une relation filiale, bancale, drôle, touchante, presque initiatique.
Quand Lelouch filme le monde comme un refuge
Avec son envie de cinéma total, Lelouch ouvre les portes du monde : Paris, Afrique, États-Unis, Polynésie… autant de cartes postales chargées de poésie, où le temps semble se suspendre. La caméra caresse les paysages, épouse les visages, suit ses personnages au rythme du vent et de la mer. Cette odyssée géographique est moins une fuite qu’une quête — un retour à l’essentiel déguisé en cavale tropicale. Un retour à l'essentiel qui vaut aussi pour Lelouch, enlisé alors dans une succession de films qui accrochent moins les spectateurs. PARTIR, REVENIR, UN HOMME ET UNE FEMME 20 ANS DEJA et ATTENTION BANDITS ! ont subi des critiques plutôt froides et n'ont pas attiré les spectateurs. Etant ici également scénariste, Lelouch impose de nouveau une histoire capable de toucher, proposant à Jean-Paul Belmondo un rôle profond, éloigné de ses standards d'homme d'action. Pour l'acteur, la période est dichotomique : d'un côté il enchaîne les succès (LE GUIGNOLO, LE PROFESSIONNEL, L'AS DES AS,...), de l'autre, il subit lourdement l'échec du SOLITAIRE qui met clairement fin à une période longue de films d'action. Il s'oriente désormais vers le théâtre et ne n'a plus forcément un désir de cinéma. Il faut toute la volonté de Lelouch pour le pousser à revenir devant une caméra.
Belmondo tombe le masque
Belmondo, légende du panache et de l’acrobatie, livre ici une performance toute en retenue. Derrière le sourire solaire, il laisse filtrer l’usure, le doute, la fragilité d’un homme trop longtemps debout. À ses côtés, Anconina apporte un mélange de naïveté et d’admiration qui rend leur duo bouleversant. Bébel se met à nu et impressionne comme rarement émotionnellement. Ce rôle résonne encore différemment aujourd'hui puisqu'on peut considérer que c'est la dernière grande prestation de sa carrière, comme un baroud d'honneur. Les années 90 seront davantage marqué par son aventure théâtrale.
L’égoïsme comme dernier luxe ?
Lelouch signe une réflexion rare sur la notoriété, la transmission, le droit à l’effacement. Sam Lion a atteint ce paradoxe ultime : la réussite devient une prison dorée, et la disparition, un acte de survie. Jusqu’où peut-on aller pour se retrouver ? Peut-on tout reconstruire en quittant tout ? L’héritage réside-t-il dans ce qu’on laisse… ou dans ce qu’on permet aux autres de devenir ? Sam ne fuit pas le monde : il fuit son propre reflet. Et Lelouch filme ce mouvement intérieur comme une cavalcade romantique, parfois naïve, mais toujours vibrante. Sur la paternité et la transmission, le film dit ceci : on peut être un père absent, mais un guide décisif. Et c’est peut-être là que réside sa force émotionnelle — derrière les chutes Victoria et le bleu du Pacifique, il y a les silences qu’on ne sait pas dire.
La connexion avec le public fut évidente et Lelouch a alors connu l'un des plus grand succès de sa carrière avec 3,254 millions de tickets vendus. Belmondo sera donc récompensé de son César du meilleur acteur, qui représentera le couronnement d'une incroyable carrière... Un prix qu'il ne viendra pas chercher, fâché qu'il était avec cette cérémonie qui ne l'avait jamais récompensé auparavant.
