Indochine, la France face à son passé
HISTOIRE DU CINÉMA
Romain Jankowski
8/4/20253 min read


L’histoire entre la France et l’Indochine est aussi vaste que complexe, nourrie par un passé colonial qui s’est achevé en 1954. Le cinéma hexagonal s’est pris de passion pour cette tranche de l’Histoire avec trois films sortis coup sur coup.
Un sujet sensible
Après L’AMANT, réalisé par Jean-Jacques Annaud, puis DIÊN BIÊN PHU par Pierre Schoendoerffer, respectivement sortis en janvier et en mars, INDOCHINE débarque sur les écrans en avril 1992. Le film de Régis Wargnier clôt donc une forme de trilogie sur un sujet délicat. Ces trois productions de prestige ont des histoires situées dans le contexte de l’expérience coloniale française au Vietnam. Elles ont toutes été tournées sur les rives du Mékong et près des rivages de la mer de Chine, auxquels sont restés attachés de très nombreux français nostalgiques de l’ancien empire colonial, ou tout simplement amoureux de ce pays resté à l’écart du monde depuis son indépendance.
Trois films, un sujet
Profitant de la récente ouverture des autorités viêtnamiennes, les trois cinéastes ont réussi à tenir le pari insensé de tourner dans un pays dépourvu de toute infrastructure cinématographique. Leur réussite a été rendue possible grâce à la ténacité et à l’ambition de trois producteurs : Claude Berri, qui a misé 122 millions de francs (environ 18 millions d’euros), Jacques Kirsner, qui a engagé 140 millions de francs (21,3 millions d’euros) et Eric Heumann, lequel a investi près de 120 millions de francs (environ 18 millions d’euros également).
INDOCHINE sera le plus primé des trois films en obtenant cinq César et l’oscar du meilleur film étranger ! Il sera également le plus rentable de tous en réunissant 3 198 663 spectateurs (il bat L’AMANT d’une courte tête, le film d’Annaud ayant atteint 3 156 124 tickets vendus). C’est le plus romanesque des trois longs-métrages, le plus ample. L’AMANT est l’adaptation du prix Goncourt de Marguerite Duras, un livre dans lequel la romancière évoque avec nostalgie son adolescence au Vietnam et aussi sa rencontre amoureuse avec un séduisant Chinois. La nostalgie n’est pas le moteur de Schoendoerffer qui reconstitue la défaite française en 1954 à Diên Biên Phu. Au contraire, le long-métrage est une véritable catharsis d’un traumatisme, afin de pouvoir tourner définitivement la page d’un passé bien douloureux aussi bien pour les français que les vietnamiens.
Wargnier et la corde sensible
De son côté, Régis Wargnier y tisse un mélodrame ambitieux mêlant destins individuels et bouleversements géopolitiques. À travers le personnage d’Éliane Devries, riche propriétaire d’une plantation d’hévéas interprétée par Deneuve, le film explore les contradictions d’un monde colonial en pleine désagrégation. L’adoption d’une jeune princesse annamite, l’histoire d’amour interdite entre celle-ci et un officier français, les conflits de loyauté et le surgissement d’un nationalisme grandissant composent une trame où l’intime se mêle au politique.
Loin d’un simple récit d’amour exotique, INDOCHINE ambitionne de dresser un portrait critique du colonialisme à travers le regard d’une femme déchirée entre deux mondes. La beauté formelle du film, servie par une photographie soignée et une musique envoûtante signée Patrick Doyle, n’efface pas la dimension crépusculaire du récit : celui d’un empire en fin de course, incapable de comprendre le désir d’indépendance d’un peuple. Le film condense ainsi, en près de trois heures, plusieurs décennies de bouleversements, de l’entre-deux-guerres à l’avènement du Viet Minh.