Extrême préjudice, le western urbain de Walter Hill

DOSSIERS

Romain Jankowski

12/8/20253 min read

À sa sortie en 1987, EXTREME PREJUDICE passe presque inaperçu. Distribué dans l’indifférence, éclipsé par des productions plus visibles, le film de Walter Hill n’a jamais bénéficié de la reconnaissance qu’il méritait. Pourtant, avec son mélange de western moderne, de polar frontalier et de film d’action brut, il reste l’une des propositions les plus singulières de son réalisateur — et un titre essentiel pour comprendre l’évolution du cinéma de genre américain à la fin des années 80.

Un western moderne déguisé en film d’action

Le film met en scène Jack Benteen, ranger texan incarné par un Nick Nolte magnétique, opposé à Cash Bailey (Powers Boothe), ami d’enfance devenu baron du narcotrafic mexicain. Sur ce territoire aride, où la loi semble n’être qu’une variable locale, Walter Hill filme une rivalité presque mythologique : deux hommes qui se respectent, se connaissent, mais dont les trajectoires ont dérivé jusqu’à rendre la confrontation inévitable.

Nolte a préparé son rôle comme un hommage aux héros du western classique — Gary Cooper, Randolph Scott — adoptant une posture stoïque, sèche, un mutisme tendu qui traverse tout le film. Hill, lui, assume cette filiation : cadres larges, soleil écrasant, villes-frontières poussiéreuses. Pour préparer son rôle, Nick Nolte étudia longuement les attitudes et comportements des Texas Rangers, allant jusqu’à suivre certains d’entre eux en patrouille afin de saisir la sobriété, la discipline et la retenue propres à ce corps d'élite. Le film respire d'ailleurs le western, même lorsqu’il adopte les codes du thriller militaire. Hill a rassemblé une sacrée équipée devant la caméra. Rarement une production de cette époque aura réuni une telle concentration de "gueules" : Michael Ironside, Clancy Brown, William Forsythe, Rip Torn… Des visages durs, fatigués, charpentés pour incarner la violence d’un monde où les règles ne tiennent qu’à un fil.

Un projet ancien, porté par John Milius

L’origine du film remonte aux années 70. Le premier scénario, signé John Milius (CONAN LE BARBARE) circulait déjà à Hollywood dix ans avant que Hill ne s’en empare. Le projet est réécrit plusieurs fois, notamment par Harry Kleiner (auteur de BULLITT), jusqu’à devenir un hybride entre film de frontière et opération secrète menée par une unité militaire officiellement… morte. Cette dimension quasi conspirationniste donne au récit une densité inattendue, entre western crépusculaire et polar politique. Walter Hill filme la violence avec sécheresse, retrouvant là une certaine forme de rudesse qu'il avait notamment initiée pour LES GUERRIERS DE LA NUIT. L’échange de tirs final, abondamment commenté par la critique, est un hommage transparent aux gunfights de LA HORDE SAUVAGE. Organisation millimétrée, impacts réalistes, poussière, verre brisé, corps expulsés par les balles : un ballet meurtrier filmé avec une précision clinique. Cette frontalité, trop sobre pour les amateurs de films d’action flamboyants et trop violente pour le grand public de l’époque, a beaucoup contribué à l’incompréhension qui a entouré la sortie du film.

Un film devenu culte avec le temps

Le film a pâti d’une distribution incohérente : sorti trop discrètement aux États-Unis, mal promu, il passe sous le radar malgré son casting et son ambition. Plusieurs critiques ont suggéré qu’il aurait trouvé bien plus facilement son public quelques années plus tard, au moment où les vidéoclubs s’emparaient massivement des films de genre.

Avec les décennies, EXTREME PREJUDICE a gagné un statut particulier. Les amateurs du cinéma de Hill y voient un concentré de ses obsessions : fraternité, fatalité, codes d’honneur, violence rugueuse, masculinités abîmées. Le film représente sans doute l’une de ses déclarations de style les plus nettes. Il enchaînera par la suite avec DOUBLE DETENTE, un film plus "aimable", mais qui ne rencontrera pas non plus un grand succès au box-office.