Critique de DRACULA

CRITIQUES

Romain Jankowski

8/4/20254 min read

Au fil de ses nombreuses adaptations, le chef-d’œuvre littéraire DRACULA de Bram Stoker a été maintes fois réécrit, réinterprété, remodelé. Chaque cinéaste y a vu une porte d’entrée vers un genre ou un imaginaire. En 1992, Francis Ford Coppola livre une version baroque, somptueuse et dérangeante, où la figure du vampire se mue en créature damnée, prisonnière d’un amour perdu. Son film reste aujourd’hui une pierre angulaire du cinéma vampirique.

Une adaptation discutable

Coppola a tout tenté dans ce pur chef-d'œuvre, tentant des approches graphiques absolument saisissantes tout en poussant le spectateur à ressentir une forme de malaise devant cet érotisme morbide, hanté par le visage magnétique de Gary Oldman. La théâtralisation de l'ensemble où chaque acteur joue une partition outrancière participe à cette drôle de sensation qui nous parcourt durant la vision. Trois décennies plus tard, DRACULA conserve son aura et son implacable efficacité.

Luc Besson tente donc à son tour d'approcher la figure maléfique de Dracula. Dès ses premières déclarations, on a très bien compris où il voulait en venir et ce ne sont pas les interviews au contenu hypocrite qui parviendront à nous convaincre. Non, Besson n'a pas lu ce que personne n'a lu et adapte davantage Coppola que Stoker. Pas de problème en soi, mais il ne faut surtout pas se prendre au jeu agaçant de la propagande qu'on entend partout. C'est simple : l'histoire d'amour entre Dracula et Mina n'existe pas dans le roman puisque le premier est juste un prédateur qui souhaite soumettre la seconde. Et ce n'est pas la seule liberté prise par Besson par rapport au matériau d'origine. Il y a une forme de malhonnêteté dans la promotion et cela est fortement regrettable.

Prisonnier de sa romance

Au-delà de ça, ce qui nous intéresse c'est le film en lui-même. Besson a-t-il un nouvel angle à aborder concernant Dracula ? Malheureusement, pas vraiment. Au contraire, l'histoire est sensiblement la même que celle narrée par Coppola, à ceci près qu'il n'y a aucune recherche formelle. Pire, l'aspect horrifique est complètement absent, le vampire étant entièrement enfermé dans son personnage de vieux romantique prêt à tout pour revoir sa belle. Le cinéaste use et abuse de gros plans, de simples transitions fonctionnelles et ne provoque jamais l'effroi ou le malaise. Il y a indéniablement beaucoup de soin apporté aux décors que l'on doit à son allié fidèle, Hugues Tissandier. Mais le tout paraît souvent fade, comme engoncé dans une forme de sagesse qui tranche avec la radicalité de l'œuvre originelle. Pourtant, Caleb Landry Jones est très bon dans le rôle principal, son intensité répondant totalement à la figure même de ce vampire enfermé dans sa propre immortalité. Un vampire plongé dans les sentiments, le cinéaste l'ayant transformé en pure image romantique sans véritable profondeur ténébreuse, à tel point que l'on ne frémit jamais devant ses apparitions. C'est un choix assumé, mais Dracula ne peut malheureusement pas se résumer à sa tragédie amoureuse.

Tension minimale

Les pulsions sexuelles et les cauchemars qui y sont associés sont écartés de l’intrigue. On se demande alors réellement quelle menace le prêtre (Christoph Waltz en mode « service minimum ») et le docteur Dumont (Guillaume de Tonquédec) tentent de combattre. Besson se cantonne à une poignée de scènes oubliables, dont une parfaitement ridicule au château de Versailles. Il supprime toutes formes de trouble, y compris au sein du château où ce sont des gargouilles qui gardent les lieux (des créatures de pierre assez gentilles au demeurant, qui obéissent à Dracula). Je pense que, dans le fond, le cinéaste est incapable d’opérer toute forme d’ostentation, puisqu’il veut avant tout s’attirer les faveurs du grand public. C'est probablement là sa pire erreur : Steven Spielberg a aussi cette ambition, mais n'a pourtant jamais hésité à mettre sa personnalité dans ses films. Pareil pour James Cameron ou bien d'autres qui ont constamment œuvré pour offrir aux spectateurs des métrages mémorables et souvent singuliers. On peut accepter la vision d'un artiste, mais Dracula ne peut décemment pas se passer d'une certaine forme de malaise parce que c'est un être insaisissable qui nourrit une angoisse latente. Il séduit, domine, s'immisce dans l'intimité des autres personnages, représentant aussi une menace contre l'ordre et les valeurs traditionnelles. Ce n'est pas simplement un monstre, c'est un symbole de contamination et de désir refoulé, troublant les frontières entre l'humanité et la monstruosité. La vision de Besson inverse ces caractéristiques pour toucher davantage le public et les esprits romantiques. Il a enlevé toutes formes d'ambiguïtés, comme il l'a souvent fait dans sa carrière...

DRACULA s'étire en longueurs et ne parvient que rarement à intéresser au-delà de la conviction de son interprète principal, qui mérite franchement une meilleure carrière (je vous conseille d'ailleurs de visionner NITRAM pour ceux qui l'ont manqué) et d'une bande-son absolument merveilleuse composée par Danny Elfman. Cette adaptation trop sage n'est jamais vraiment honteuse, mais elle suscite une certaine indifférence. Mais pouvait-il en être autrement entre les mains d'un réalisateur qui a toujours simplifié ses films ? Son cinéma a souvent été spectaculaire, mais toujours sage et inoffensif, préférant intégrer ses personnages dans une logique narrative rassurante. Ainsi, il est peu surprenant que DRACULA soit davantage une déception qu'une bonne surprise...

NOTE INDICATIVE : 09 / 20

DRACULA est actuellement disponible dans les salles de cinéma.