Double Mise, le coup d'essai de Paul Thomas Anderson

PAUL THOMAS ANDERSON

Romain Jankowski

9/9/20252 min read

Avant de devenir le prodige révélé par BOOGIE NIGHTS, Paul Thomas Anderson signe en 1996 un premier film sobre et tendu, tourné avec trois bouts de ficelle et une foi immense en son scénario. D’abord intitulé SYDNEY, le film fut rebaptisé HARD EIGHT par la production, au grand désarroi d’Anderson, qui s’est battu pour préserver son montage. Malgré ce bras de fer, le jeune cinéaste impose déjà son style : dialogues ciselés, personnages cabossés, et une caméra qui scrute plus qu’elle ne juge.

Un cinéma percutant

Las Vegas. Sydney (Philip Baker Hall), vieux joueur élégant et mystérieux, prend sous son aile John (John C.Reilly), un jeune paumé sans un sou. Ensemble, ils écument les casinos, apprennent à survivre aux arnaques et s’entourent d’une galerie de personnages troubles : Clementine (Gwyneth Paltrow), serveuse de casino un peu paumée, et Jimmy (Saluel L.Jackson), petit malfrat grande gueule. Mais derrière le calme de Sydney se cache un lourd secret…


Pas de fusillades tonitruantes ni de rythme effréné ici. DOUBLE MISE préfère l’atmosphère, les silences lourds et les regards qui en disent plus long que les dialogues. Anderson signe un polar minimaliste, tendu comme un fil, où l’élégance visuelle compense la modestie du budget. Déjà, on sent poindre le futur maître de fresques chorales et virtuoses. Si le cinéaste fera bien mieux par la suite, sa maîtrise du cadre est déjà évidente. Dès la première séquence, le ton est donné avec une longueur qui évoque le cinéma de Quentin Tarantino, laissant ses acteurs et ses dialogues dicter le rythme. Cette lente montée en puissance occupe une bonne moitié du film, jusqu’à ce qu’un événement imprévu vienne tout bouleverser : une décision maladroite du jeune couple entraîne une spirale de violence, dont l’issue brutale arrive seulement dans le dernier plan. La seconde partie, plus attendue, s’oriente alors vers un polar classique, accumulant les rebondissements convenus et perdant un peu de la singularité de son entame.

Un casting au top

Reste pourtant l’essentiel : une mise en scène déjà d’une belle assurance, une direction d’acteurs remarquable, et un casting qui annonce les futures obsessions de Paul Thomas Anderson. John C. Reilly et Philip Baker Hall y brillent, Philip Seymour Hoffman s’impose dans quelques apparitions délirantes, et Samuel L. Jackson apporte une énergie toute tarantinesque. Quant à Gwyneth Paltrow, encore au début de sa carrière, elle fait preuve d’un naturel et d’une justesse déjà remarquables.

Si la consécration critique et public viendra avec BOOGIE NIGHTS, DOUBLE MISE reste une entame de carrière très solide qui préfigure ce que ce sera le futur de ce cinéaste hors des normes. Et à voir sa direction d'acteurs, on comprend pourquoi il a dirigé de nombreuses stars par la suite...