Critique de THE BRUTALIST
CRITIQUES
Romain Jankowski
2/25/20254 min read


Difficile de passer à côté de l'aura qui entoure THE BRUTALIST, troisième film de Brady Corbet. Il y a une forte émulation, avec grandes critiques dithyrambiques et récompenses à la clé (les Oscars arrivent, ce qui devrait lui permettre d'en engranger d'autres). Dans ce genre de plébiscite, les avis tranchés sont rapidement légion : il y a ceux qui ont hâte de découvrir ce qui plaît tant aux médias et les autres qui préfèrent boycotter ce trop plein d'éloges.
L'art de la forme
On peut aussi être partagé entre les deux mondes. Être curieux de voir la proposition cinématographique qui se dégage de THE BRUTALIST et être un poil agacé de cette embellie qui oblige pratiquement tout le monde d'avoir le même avis que l'opinion populaire, sous peine d'être illico jugé en tant que personne ne connaissant rien au 7ème art. Je suis certain que la plupart d'entre vous ont déjà connu ce genre de situation... Pour en revenir au film de Corbet, on se situe donc durant l'après-guerre 1939-1945. Fuyant l’Europe, l’architecte visionnaire László Tóth (Adrien Brody) arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et le couple qu’il formait avec sa femme Erzsébet (Felicity Jones), que les fluctuations de frontières et de régimes de l’Europe en guerre ont gravement mis à mal. Livré à lui-même en terre étrangère, László pose ses valises en Pennsylvanie où l’éminent et fortuné industriel Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce) reconnaît son talent de bâtisseur. Mais le pouvoir et la postérité ont un lourd coût.
La richesse du film s'étend sur 3h35 (dont 15 minutes d'entracte), ce qui laisse le temps de développer toutes les thématiques abordées. Filmé en Vista Vision (un format souvent utilisé dans les années 50, notamment par Alfred Hitchcock), THE BRUTALIST soigne sa mise en scène et nous plonge dans un monde impitoyable qui percute violemment le rêve américain. Divisé en deux grands parties, le long-métrage joue à pile et face, l'espoir et la noirceur. L'espoir parce que László se trouve dans un espace où le champ des possibles s'ouvre devant lui. Noirceur, parce qu'il y a forcément un prix à payer. Coincé entre son art et les contingences commerciales (on pense forcément à ces nombreux cinéastes qui doivent plier face au poids des financiers), il se heurte à un monde dans lequel il n'a tout simplement pas sa place. Des remarques, des gestes, des regards sont là pour lui rappeler que sa présence parmi cette classe aisée ne tient qu'à un fil. Des mots forts aussi où le fils Van Buren, incarné par Joe Alwyn, lui rappelle qu'il est simplement "toléré".
Le poids des maux
C'est cette précision, diabolique et efficace, qui guide THE BRUTALIST. Les longs plans dialogués se succèdent, Corbet et son directeur de la photographie, Lol Crawley, laissant la caméra tourner durant de longues minutes pour capter le jeu des formidables comédiens. Bien sûr, Adrien Brody crève l'écran dans une prestation qui rappelle furieusement LE PIANISTE. Il est habité par une grande conviction et une douleur qui transparaît à chaque scène. Face à lui, il y a Guy Pearce, redoutable homme à l'ambition démesurée qui peut vous assassiner publiquement au détour d'une parole. Il ne faudrait pas oublier Joe Alwyn, un prédateur qui serpente entre ses proies, la plus douce Emma Laird dans le rôle de la fille, plus empathique, puis Felicity Jones, en épouse de László qui fait en sorte d'être un pilier pour son mari tout en tentant de trouver sa place dans un pays qui ne veut pas de ces migrants européens. Ils méritent donc les louanges pour réussir à s'insérer dans une oeuvre si dense et parfois jusqu'au boutiste, pouvant se perdre allègrement dans de grandes digressions textuelles, sensuelles ou même sexuelles. Le réalisateur prend le pouls d'une époque, d'un pays et d'un système, percutante machinerie qui cherche à nous égratigner par sa démesure. Ces années 50, souvent fantasmées et idéalisées, sont montrées ici avec une certaine rudesse, en témoigne cet art si rude du brutalisme.
Sur plus de trois heures, il y a forcément quelques sorties de route, mais elles sont globalement maîtrisées pour ne pas faire tomber tout l'édifice. Je pense notamment à ce drôle d'épilogue qui aborde la mémoire et l'empreinte que l'on peut laisser, sans réellement les explorer. En ce sens, il aurait peut-être été intéressant de s'y plonger plus longuement. On n'échappe pas non plus à une certaine forme d'extrémisme dans les idées, comme ce passage en Italie qui paraît inutilement provocant. Reste que THE BRUTALIST est un bon film et qu'il mérite certainement d'autres visions pour en saisir toutes les richesses.
AVIS GLOBAL : Une oeuvre très ambitieuse qui se sert de son récit étoffé pour construire une mise en scène souvent impressionnante. Ses excès ne l'empêchent pas d'être passionnante tandis que le casting joue parfaitement sa partition.
NOTE INDICATIVE : 15 / 20
THE BRUTALIST est actuellement disponible dans les salles de cinéma.